Créance privilégiée atteinte par l’arrêt du cours des intérêts : effets sur la somme déclarée

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18/06/2021
Affaires - Commercial

Un créancier ayant déclaré sa créance – portant intérêts – au titre du solde du prix de cession d’un fonds de commerce, est censuré l’arrêt retenant que le privilège du vendeur grevant ce fonds doit produire ses effets sur le prix de sa revente par le débiteur en liquidation, alors qu’il ne distingue pas les éléments sur lesquels s’exerçait le droit de suite du créancier et que le crédit vendeur était d’une durée inférieure à un an.
En application de l’article L. 622-28 du code de commerce, "le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus".
 
La Cour de cassation rappelle ce principe dans le cadre d’un contentieux portant sur une cession de fonds de commerce.

Revente du fonds de commerce cédé

En l’espèce, le 23 juillet 2008 la SARL X… avait cédé un fonds de commerce d'hôtellerie-restauration à la société Y… pour un prix de 805 178 euros, le paiement étant garanti par un privilège de vendeur de fonds de commerce pris le 24 juillet 2008 et inscrit le 31 juillet suivant. Le prix était payable :
— comptant à concurrence de la somme de 640 178 euros (taux d’intérêt : 4,20 %) ;
— et, à terme, au plus tard le 22 janvier 2009, à concurrence de 165 000 euros (taux d’intérêt après cette date : 8 %).

À la suite du redressement judiciaire de la société Y…, prononcé le 6 janvier 2010, la SARL X… avait déclaré sa créance d'un montant de 125 000 euros au titre du solde du prix de cession du fonds.
 
Soutenant que la vente intervenue le 27 février 2013, entre une SARL Z… et une société W…, portait sur le même fonds que celui qu'elle-même avait vendu à la société Y… sans être intégralement payée du prix, la SARL X… avait assigné les sociétés Z… et W…, le 24 avril 2014, afin de voir exercer son droit de suite sur le produit de la vente. Les sociétés Z… et W… ayant été mises en liquidation judiciaire et la société X… ayant été dissoute, elles étaient représentées par leur mandataires respectifs.
 
Il avait été jugé en appel que :
— le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la SARL X… à la société Y… devait produire ses effets sur le prix de cession du fonds de commerce de la SARL Z… à la société W… ;
— le prix de revente de ce fonds revenait à la société X… à concurrence de sa créance qui s'élevait à la somme de 125 000 euros en capital, outre les intérêts au taux de 4,20 % dus du 23 juillet 2008 au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % passé cette date ;
— la créance déclarée par la SARL X… devait être fixée au passif de la société Z… à concurrence de la somme de 125 000 euros portant intérêts.
 
Reprochant à la cour d’appel d’avoir statué en violation des articles L. 141-5 et L. 622-28 du code de commerce, la société Z… et son liquidateur ont porté le litige devant la Cour de cassation.

Double censure
 
Éléments garantis par le privilège du vendeur
 
En cas de vente d’un fonds de commerce, des prix distincts sont établis pour les éléments incorporels du fonds, le matériel et les marchandises. En application de l’article L. 141-5 du code de commerce, "le privilège du vendeur qui garantit chacun de ces prix, ou ce qui en reste dû, s'exerce distinctement sur les prix respectifs de la revente afférents aux marchandises, au matériel et aux éléments incorporels du fonds".
 
La cour d’appel, retenant que le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la SARL X… à la société Y… devait produire ses effets sur le prix de cession du fonds de commerce de la société Z… à la société W…, et fixant au passif de la société Z… la créance déclarée à concurrence de la somme de 125 000 euros portant intérêts, sans distinguer les éléments sur lesquels s'exerçait le privilège du vendeur et, partant, le droit de suite, a violé l’article L. 141-5 précité.

Durée du crédit vendeur inférieure à un an
 
Par ailleurs, dès lors que le prix du fonds de commerce étant payable comptant le 23 juillet 2008 et le solde à terme au plus tard le 22 janvier 2009, ce dont il résultait que le crédit vendeur était d'une durée inférieure à un an, la cour d'appel a également violé l’article L. 622-28 du code de commerce susmentionné.
 
L’arrêt confirmatif de la cour d’appel est ainsi cassé en ce qu’il dit que le privilège du vendeur grevant le fonds de commerce vendu par la SARL X… doit produire ses effets sur le prix de revente du fonds et fixe au passif de la société Z… la créance déclarée à hauteur de la somme de 125 000 euros portant intérêts au taux de 4,20 % du 23 juillet 2008 au 22 janvier 2009 et au taux de 8 % ensuite. Les parties sont renvoyées, sur ces différents points, devant le juge d’appel.
 
Pour aller plus loin 
Pour des développements complémentaires relatifs : 
– au droit de suite sur le fonds de commerce, se reporter aux nos 821 et s. de l’édition 2021 du Lamy droit commercial ;
– à l’arrêt du cours des intérêts au prononcé du jugement d’ouverture de la procédure collective, se reporter aux nos 3516 et s. de l’édition 2021 du Lamy droit commercial.
Source : Actualités du droit