La semaine du droit pénal général

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21/06/2021
Pénal - Droit pénal général

Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal général, la semaine du 14 juin 2021.
Responsabilité pénale – état de nécessité – danger actuel et imminent
« Le 12 octobre 2017, aux environs de 5 heures du matin, huit membres de l’association Greenpeace France se sont introduits dans l’enceinte du centre nucléaire de production électrique de Cattenom en escaladant une clôture et découpant des grillages.
Interpellés, ils se sont vu délivrer une convocation devant le tribunal correctionnel pour intrusion, sans autorisation de l’autorité compétente, dans l’enceinte d’une installation civile abritant des matières nucléaires, au sein de terrains clos, en réunion et avec dégradation, faits prévus par les articles L. 1333-13-14, L. 1333-13-12, L. 1333-1, L. 1333-2, L. 1333-14, L. 1411-1, D. 1333-79 du Code de la défense, L. 593-8 du Code de l’environnement, et réprimés par les articles L. 1333-13-14, alinéa 5, et L. 1333-13-17 du Code de la défense.
L’enquête préliminaire qui s’est poursuivie a conduit à la convocation, devant cette même juridiction, d’une part, de l’association Greenpeace du chef de la même infraction, d’autre part, de M. [T] pour complicité.
Les juges du premier degré ont déclaré l’ensemble des prévenus coupables des faits reprochés.
Les prévenus, le ministère public et la société EDF, partie civile, ont relevé appel de cette décision.
 
Pour écarter l’état de nécessité invoqué par l’ensemble des prévenus à l’exception de M. [T], l’arrêt, après avoir rappelé que leur introduction, par effraction et sans autorisation de l’autorité compétente, dans l’enceinte d’une centrale nucléaire, avait pour objet de dénoncer, par une action à retentissement médiatique, le manque de fiabilité de la protection d’une zone à accès réglementé et sécurisé, énonce que, selon l’article 122-7 du Code pénal, l’état de nécessité ne peut être utilement invoqué que si, d’une part, le danger est actuel ou imminent c’est-à-dire réel, certain et en cours de réalisation ou est susceptible de se réaliser dans un avenir immédiat en menaçant directement la personne qui a accompli l’acte illégal, d’autre part, cet acte était le seul moyen de l’éviter.
Les juges ajoutent que les prévenus ont agi pour dénoncer le manque de protection des piscines d’une centrale nucléaire servant au refroidissement du combustible usagé toujours radioactif, notamment en cas d’action terroriste par voie terrestre ou aérienne dirigée contre l’installation, ce qui représente non un danger actuel ou imminent les menaçant directement, mais l’expression d’une crainte face à un risque potentiel, voire hypothétique.
En se déterminant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision.
En effet, en premier lieu, un danger futur qu’aucune mesure actuelle ne permettrait de prévenir ne peut être assimilé à un danger actuel ou imminent au sens de l’article 122-7 du Code pénal.
En second lieu, l’infraction poursuivie n’était pas, par elle-même, de nature à remédier au danger dénoncé.
Dès lors, les moyens doivent être écartés.
 
Pour requalifier les faits reprochés à l’association Greenpeace France et la déclarer coupable de provocation ou incitation, suivie d’effet, à intrusion dans l’enceinte d’une installation civile abritant des matières nucléaires, l’arrêt énonce qu’il résulte notamment des constatations des militaires de gendarmerie intervenus sur les lieux, des images du reportage diffusé sur la chaîne de télévision Arte et des explications du représentant légal de l’association, que les faits du 12 octobre 2017 s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne de sensibilisation sur le risque nucléaire lié à la fragilité supposée des piscines à combustible.
Les juges ajoutent que cette campagne a été décidée et organisée par l’association conformément à l’objet qui lui est assigné par ses statuts et que les autres prévenus n’ont fait que participer au type d’action qu’elle avait choisi.
En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel, qui a requalifié les faits en provocation à l’intrusion, mise dans le débat par la prévenue elle-même, aux lieu et place de la prévention initiale d’intrusion, a justifié sa décision.
Ainsi, le moyen doit être écarté.
 
Pour déclarer le prévenu coupable de complicité d’intrusion, l’arrêt énonce qu’il connaissait parfaitement le détail de l’opération au point qu’il a pu en décrire précisément les modalités aux journalistes qui l’accompagnaient.
Les juges, après avoir rappelé qu’il était salarié à plein temps de l’association Greenpeace depuis 2002 et qu’il avait tenu, la veille de l’intrusion, une conférence devant plusieurs personnes à l’aide d’une illustration schématisant une centrale nucléaire et qu’il l’avait close en déclarant qu’il était prévu le lendemain de démontrer la fragilité des piscines, en déduisent que, loin d’avoir participé à une réunion d’ordre général purement informative, il avait en réalité tenu, la veille et à proximité des lieux, une conférence, qualifiée de « brief » par les journalistes qui y assistaient, et que ce contexte chronologique et géographique démontre que cette intervention était manifestement liée directement à l’intrusion du lendemain.
La cour d’appel retient encore qu’il a accompagné les journalistes en voiture, de nuit, et leur a expliqué le mode d’action et l’objectif de l’intrusion, avant de donner les « instructions suivantes : on éteint tout, descends, descends ». Elle en déduit qu’il les a accompagnés pour permettre l’enregistrement audiovisuel en choisissant un lieu permettant d’avoir une vue d’ensemble pour assurer la couverture médiatique que l’association se donnait pour but.
Elle relève enfin qu’il s’est associé à la réussite de l’opération en en faisant le bilan face à la caméra des journalistes.
En l’état de ces énonciations, fondées sur son appréciation souveraine des faits et qui caractérisent des actes d’aide et assistance à l’acte principal d’intrusion poursuivi, la cour d’appel a justifié sa décision.
Ainsi, le moyen doit être écarté ».
Cass. crim., 15 juin 2021, n° 20-85.749, F-B *
 

Corruption –  groupe de société – responsabilité pénale
« Courant 2001 à 2004, dans le cadre de l’obtention de marchés de matériels téléphoniques au Costa Rica pour un montant de près de trois cents millions de dollars, des commissions ont été versées à des agents publics de l’institut costaricien d’électricité (ICE) ainsi qu’à des personnalités politiques du Costa Rica, par la société Alcatel CIT au sein de laquelle MM. V et X exerçaient des fonctions de directeur, filiale de la société holding Alcatel SA devenue Alcatel-Lucent SA (ci-après la société), et ce, sous couvert de contrats de consultant signés par une autre filiale, la société Alcatel Standard dont le responsable était M. L.

À l’issue d’une information judiciaire, la société a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée du chef de corruption active d’agent public étranger, pour avoir proposé sans droit, directement ou indirectement à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger, des offres, des promesses, des dons ou des avantages quelconques pour elle-même ou pour autrui afin d’obtenir qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou de son mandat ou facilité par sa fonction ou son mandat, en l’espèce, en participant, par l’intermédiaire de son représentant M. D, responsable de l’Area 1 du groupe, et de ses subordonnés, MM. V et X, au recrutement de consultants implantés au Costa Rica que ces salariés d’Alcatel savaient chargés de verser des fonds, directement ou indirectement, à des agents publics du Costa Rica, afin que la société Alcatel CIT, filiale du groupe Alcatel, obtienne l’attribution et la conservation de marchés conclus avec l’ICE, en permettant le paiement des consultants et le versement des fonds illicites par sa filiale Alcatel CIT, dans un premier temps par l’approbation par le RAC (Risk Assessment Committee) central du groupe de la fiche de rentabilité du projet (IPIS, Initial Project Income Statement) en ce y compris la ligne relative aux frais d’agents, puis en validant ces paiements dans le cadre de l’établissement et de l’approbation de ses comptes consolidés. MM. L et D ont également été renvoyés devant le tribunal correctionnel.

Le tribunal correctionnel a relaxé MM. L et D estimant qu’il ne résultait pas du dossier la preuve qu’ils avaient en toute connaissance de cause participé activement au schéma corruptif mis en place et exécuté par MM. V et X, ainsi que la société, faute d’avoir pu identifier l’organe ou le représentant ayant agi frauduleusement pour son compte.
Le ministère public et la prévenue, en ce que le jugement a constaté qu’il n’y avait pas d’extinction de l’action publique du chef de l’autorité de la chose jugée, ont relevé appel.
 
Pour retenir notamment que MM. D, V et X et le RAC central avaient les qualités respectives de représentants et d’organe de la société au sens de l’article 121-2 du Code pénal, afin d’infirmer le jugement puis déclarer la société coupable de corruption active d’agents publics étrangers, l’arrêt attaqué, après avoir rappelé les faits constants tenant au paiement de fonds par la société CIT à des fins d’obtention des marchés, énonce, en substance, que le recours à un consultant par une société du groupe Alcatel qui décidait de répondre à un appel d’offre dans un pays étranger nécessitait l’élaboration et la signature de plusieurs documents : l’IPIS, une évaluation de la rentabilité globale de l’appel d’offres, mentionnait les coûts du projet dont le taux des commissions à verser aux consultants et était examiné notamment par un comité dédié, le RAC, soit local (composé de dirigeants de la filiale signataire du contrat) soit central (composé de dirigeants du groupe), les deux étant intervenus pour les contrats du Costa-Rica ; puis la nécessité de recourir à un consultant était déterminée par un country senior officier, en l’espèce M. V, responsable de la filiale du pays, qui sollicitait l’accord du directeur de la zone, en l’espèce M.  D ; puis étaient émis le FSE (Forecats Sales Expenses) mentionnant le montant et l’échéancier des commissions, signé par le président de l’Area - M. D -, le président d’Alcatel CIT, les présidents des business division concernées et le président d’Alcatel Standard - M. L - et le SAR qui comprenait l’identité du bénéficiaire des commissions et d’autres modalités et était signé par le président de l’Area et le président d’Alcatel Standard.

Les juges exposent que la société a mis en place, dans les années 90, une organisation matricielle avec la création de deux entités virtuelles et transversales dépourvues de personnalité juridique, regroupant d’une part les secteurs d’activités (les business groupes) d’autre part des zones géographiques (les Areas dont l’une était dirigée par M. D), que cette organisation ignorait les structures juridiques liant la société mère à ses nombreuses filiales, que chaque employé d’une business division ou d’une Area était juridiquement rattaché à une filiale et que la plupart des personnes citées était salariée de la société Alcatel CIT, à l’exception de M. L, salarié de la filiale Alcatel Standard et de M. D, salarié de la filiale Alcatel Espagne. Ils retiennent que cette organisation matricielle, bien que dénuée de personnalité juridique, impliquait des liens hiérarchiques à l’intérieur des business groups et des zones géographiques, de sorte que se superposait, pour chaque agent, une double hiérarchie, d’une part, de droit, au sein de la filiale qui le salariait et d’autre part, de fait, au sein de l’organisation matricielle et transversale, dont relevait la procédure de recrutement des consultants et que cette double hiérarchie liait, de fait, à la société pour le compte de laquelle ils agissaient, les acteurs impliqués dans le processus, que ce soit lors de la demande d’intervention d’un consultant, lors de la rédaction de l’IPIS, lors de l’approbation par le RAC local ou lors de la signature des formulaires FSE et SAR. Ils en déduisent que MM. D et L, signataires des formulaires FSE et SAR, ont agi comme représentants de la société et qu’il en est de même de MM. V et X, placés l’un et l’autre sous l’autorité hiérarchique matricielle de M. D.

La cour d’appel rappelle qu’il est établi que MM. V et X ont conclu un pacte de corruption avec les agents publics et hommes politiques costariciens afin que la société Alcatel CIT obtienne les marchés avec l’ICE. Elle considère que la multiplication de paiements illicites, dans des zones géographiques différentes, ne saurait être uniquement le résultat de la collusion de deux salariés, mais constitue l’expression d’une politique du groupe, déterminée par la société par la mise en place d’une organisation complexe laquelle, pour les contrats d’agents, sous couvert de transparence et de collégialité, en prévoyant une multitude de documents et une pluralité d’intervenants, n’avait d’autre but que de diluer les responsabilités, chacun des intervenants ayant une responsabilité déterminée, et permettre, sous une apparence de légalité, la poursuite des contrats d’agents permettant des paiements illicites à des décideurs publics étrangers qui étaient déterminants pour les résultats commerciaux de l’entreprise.

Les juges relèvent enfin que le RAC central est intervenu, en l’espèce, pour l’approbation des documents IPIS et du recours à des consultants de sorte qu’il ne saurait être soutenu qu’il ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel alors qu’il validait le document IPIS, ce qui déclenchait l’édition des documents FSE et SAR et emportait approbation de la ligne de financement des « selling commisssions », et donc des paiements illicites qui étaient pris en compte lors de l’établissement et l’approbation des comptes consolidés du groupe Alcatel.
 
Ils retiennent également que de nombreux dirigeants du groupe, particulièrement les membres des RAC local et central, avaient une connaissance générale du système mis en place pour le recours à des consultants et de l’usage final des sommes consacrées par le groupe au paiement de ses agents dans les zones à risque.
 
En l’état de ces énonciations qui procèdent de son appréciation souveraine des circonstances de fait et des éléments de preuve, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître l’article 121-2 du Code pénal.
 
En effet, les juges ont établi sans insuffisance ni contradiction que, s’agissant de faits commis dans le cadre d’un groupe de sociétés dont la société condamnée est la société holding, la corruption active d’agent public étranger a été commise, pour le compte de la société mère, par la combinaison des interventions de trois salariés des filiales de la société, représentants de fait de cette dernière en raison de l’existence de l’organisation transversale propre au groupe et des missions qui leur étaient confiées, peu important l’absence de lien juridique et de délégation de pouvoirs à leur profit, et du RAC central, organe de ladite société composé de dirigeants du groupe dont la mission l’amenait à valider, pour le compte de ce groupe, le recours à des paiements illicites sous couvert de contrats de consultants.
Dès lors, le moyen doit être écarté ».
Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-83.098, F-P *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 21 juillet 2021.
Source : Actualités du droit