Visite domiciliaire douanière : quels contrôles ?

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02/12/2021
Transport - Douane
Affaires - Pénal des affaires

Un arrêt du 24 novembre 2021 de la Cour de cassation précise, s’agissant de la visite domiciliaire de l’article 64 du Code des douanes, l’étendue du contrôle par le juge quant aux habilitations des douaniers et aux caractères non global et différencié d’une saisie. La décision examine aussi la force probante d’une mention par l’opérateur en annexe du PV au regard de l’article 336 du même code.
L'article 64 du Code des douanes, qui encadre la visite domiciliaire, était au cœur d’une décision de la cour d’appel de Paris de 2020 (CA Paris, 20 mai 2020, n° 19/13830, X... Pax c/ Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)) qui a fait l’objet de deux présentations dans ces colonnes s’agissant de la validité de la requête et de l’ordonnance d’autorisation (voir notre actualité) et s’agissant de la validité de la saisie et du déroulement de la visite (voir notre actualité). L’opérateur débouté a formé un pourvoi avec les arguments suivants.
 
Régularité de l’ordonnance : vérification par le juge des habilitations des douaniers
 
L’opérateur avance que le juge a délivré son ordonnance sans vérifier les habilitations des agents des douanes, ce qui rend celle-ci irrégulière.

Selon lui, cette irrégularité est d’abord révélée par deux éléments : d’une part par le fait que l'ordonnance visait 15 agents, mais comportait 2 habilitations d'agents des douanes de plus que dans la requête présentée, cette différence traduisant l'absence de contrôle effectif des habilitations des agents désignés ; d'autre part, l'ordonnance contenait les grades des douaniers, cependant que les habilitations jointes ne mentionnaient pas ces informations.
Cette irrégularité est encore révélée, toujours selon l’opérateur, par le fait que le juge n'avait pas pu authentifier l'habilitation de l'agent matricule 56317 en l'absence d'élément d'identification dans la requête.
 
Ces arguments avaient été écartés par le premier président au motif qu'il suffisait que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention constate que les habilitations lui avaient été présentées.
 
Et la Cour de cassation fait de même estimant que le juge a bien procédé à la vérification des habilitations des agents (et donc que l’ordonnance est régulière), puisque :
- l'article 64 précité « n'impose pas que les décisions d'habilitation des agents de l'administration des douanes soient annexées à la requête » ;
- l'ordonnance relève que l'autorisation délivrée par le juge des libertés et de la détention constate, par une mention valant jusqu'à inscription de faux, que les douaniers, autorisés à procéder aux visite et saisie, sont tous dûment habilités ;
- que le caractère pré-imprimé de l'ordonnance n'empêche pas le juge de se livrer à un contrôle effectif du contenu de la requête dont il s'approprie les motifs.

S’agissant de l’argument relatif au matricule, la Haute cour estime que le premier président n'était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et n'avait pas à effectuer la recherche, inopérante.
 
Mention par l’opérateur en annexe du PV de son absence partielle lors de la saisie : quelle valeur au regard de l’article 336 du Code des douanes ?
 
L’opérateur reprochait aussi au premier président de la cour d’appel de ne pas avoir examiné/pris en compte sa déclaration en annexe du procès-verbal par laquelle il indiquait ne pas avoir été présent intégralement aux opérations de saisie : selon l’opérateur, sa déclaration en ce sens en annexe du PV a « par incorporation » la valeur de constatations matérielles valant jusqu'à inscription de faux, au sens de l’article 336 du Code des douanes (dont le § 1 dispose notamment que les procès-verbaux de douane rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent). En déniant toute valeur probante à cette déclaration, le juge aurait donc violé cet article 336 et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

En revanche, pour la Cour de cassation, « il ne résulte pas de l'article 336 du Code des douanes que les déclarations de la personne ayant assisté aux opérations de visite et saisie font, par incorporation, foi jusqu'à inscription de faux, du seul fait qu'elles ont été annexées au procès-verbal par les agents des douanes » : la déclaration de l’opérateur en annexe du PV ne constitue donc pas au sens de cet article une constatation matérielle probante que le juge doit examiner/prendre en compte.
 
Remarques
L’opérateur avance aussi que, en lui déniant la possibilité de contester la mention de la Douane sur le procès-verbal selon laquelle les opérations de saisie et les opérations informatiques avaient été faites en sa présence constante et effective « pour la simple raison que celle-ci ferait foi jusqu'à inscription de faux », serait remis en cause son droit à un recours effectif qui implique qu’il puisse discuter notamment des éléments probatoires éventuellement constatés dans le cadre de l'enquête. Mais, pour la Cour de cassation, le § 1 précité de l'article 336, qui prévoit que les PV rédigés par deux agents des douanes font foi jusqu'à inscription de faux des constatations matérielles qu'ils relatent, n'est pas incompatible avec l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel n'a pas pour objet de limiter les modes de preuve prévus par la loi interne mais de garantir le droit du justiciable à un procès équitable.
 
Saisie globale et indifférenciée : quelle contestation ?
 
Contestation au cours des opérations de saisie et mention en annexe du PV
 
Sur le déroulement des opérations de saisie, dans le cadre de l'annexe C à laquelle renvoyait le procès-verbal de constat, l’opérateur avait soulevé un certain nombre d'irrégularités et notamment qu’une saisie globale, massive et indifférenciée avait été opérée. Le juge n’examine pas cet argument aux motifs qu'il appartenait à l’opérateur de soulever toute contestation utile sur les données qui lui paraissaient devoir être exclues de la saisie et que le procès-verbal de constat des opérations de visite et de saisie ne rapportait aucune déclaration à cette fin formulée par l’opérateur au cours des opérations, seules figurant en annexe des observations écrites de sa part. C’est pourtant, pour l’opérateur, au moyen de l'annexe C à laquelle renvoyait le PV que la contestation était précisément soulevée, de sorte qu'elle devait être analysée par le juge.
 
Pour la Cour de cassation, il résultait du procès-verbal que l’opérateur qui était informé que toute difficulté serait portée à la connaissance du juge des libertés et de la détention et qui avait, en sa qualité, nécessairement connaissance des documents susceptibles d'être appréhendés, n'avait soulevé, au cours des opérations, aucune contestation sur les données qui lui paraissaient devoir être exclues de la saisie, que l'officier de police judiciaire n'avait opposé aucun refus d'accès aux données saisies et que la visite des locaux et les extractions informatiques s'étaient terminées sans incident, le premier président en a déduit à bon droit qu'aucune atteinte aux droits de la défense n'était démontrée.
 
Saisie non globale et différenciée : la preuve
 
L’opérateur fait valoir aussi que l'officier de police judiciaire s'était opposé à sa demande tendant à ce que le juge des libertés et de la détention soit saisi du fait de la saisie globale, massive et indifférenciée des données informatiques et que cette opposition avait empêché le contrôle de ce dernier et privé l'occupant de la garantie de ses droits de la défense. Sur ce point, le premier président de la cour d’appel a estimé que la saisie était régulière et qu’il appartenait à l’opérateur de soulever toute contestation utile sur les données qui lui paraissaient devoir être exclues de la saisie. Au contraire, pour l’opérateur, il incombe la Douane saisissante d'établir que la saisie était dûment justifiée et proportionnée, et le premier président aurait violé les articles 64 précité et les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
 
Pour la Cour de cassation, l'ordonnance retient que, selon le procès-verbal, les saisies pratiquées n'apparaissent pas globales mais différenciées et qu'elles ne sont pas, en elles-mêmes, disproportionnées. Elle relève ensuite que la copie des fichiers informatiques saisis a été réalisée en double exemplaire, dont l'un a été placé sous scellé, de sorte que l’opérateur pouvait en connaître le contenu. Elle relève enfin que l’opérateur n'établit pas que lesdits fichiers concerneraient des données confidentielles ou seraient sans rapport avec les soupçons d'actes prohibés, ni ne démontrent une atteinte disproportionnée à leurs droits au regard du but légitime poursuivi de recherche des infractions.
 
La Haute cour ajoute que, pour écarter l’argument de l’opérateur d’une saisie globale et indifférenciée de tous documents informatiques ou papiers, le premier président n’avait pas à rechercher s’il avait été procédé à un tri préalable sur le fondement de critères précis, objectivement contrôlables.
  
Plus d’information sur ce sujet dans Le Lamy Guide des procédures douanières, n° 1010-26, n° 1010-30, n° 1010-32 et n° 1010-37, dans Le Lamy transport, tome 2, n° 1693, n° 1696 et n° 1697, et dans Le Lamy Droit pénal des affaires, n° 4165 et s. La décision ici présentée est intégrée notamment à ces numéros dans la version en ligne des deux premiers ouvrages sur Lamyline dans les 48 heures à compter de la publication de la présente actualité.
 

 
 
 
Source : Actualités du droit