Crimes sériels ou non élucidés : une circulaire publiée

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08/03/2022
Pénal - Procédure pénale

Le nouveau pôle judiciaire dédié aux affaires non élucidées et aux crimes en série a été lancé le 1er mars 2022. Une circulaire est venue préciser les conditions d’exercice de la compétence nationale concurrente dévolue au pôle dédié, l’articulation nécessaire entre les divers acteurs judiciaires concernés et le nouveau cadre de l’enquête relative au parcours criminel.
La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a prévu la création d’un dispositif de centralisation et de spécialisation des acteurs judiciaires en charge des crimes sériels ou non élucidés. En effet, un pôle nationale spécialisé pour connaître de ces crimes a été créé (v. Loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : amélioration de la procédure de jugement des crimes, Actualités du droit, 6 janv. 2022). « L'affectation de personnels dédiés en capacité de mobiliser des moyens d’enquête spécifiques, et de nouer des contacts internationaux, permettra d’assurer une réponse judiciaire adaptée à cette criminalité afin que ces faits ne restent pas impunis et que leurs victimes ne tombent pas dans l’oubli » souligne le ministre. Plus de 240 dossiers seraient concernés (Ministère de la Justice, 28 févr. 2022).
 
 
Un pôle unique à Nanterre
Le tribunal judiciaire de Nanterre a été désigné comme pôle spécialisé en charge de ces procédures (v. Crimes sériels ou non élucidés : le tribunal judiciaire de Nanterre désigné pôle judiciaire, Actualités du droit, 27 janv. 2022). Cette compétence est conditionnée, selon l’article 706-106-1 du Code de procédure pénale, à la réunion de trois critères tenant :
- à la nature de l’infraction (crimes de meurtre et d’empoisonnement, d’actes de torture et de barbarie, de viol et d’enlèvement ou séquestration, ainsi qu’aux délits connexes à ces crimes) ;
- à la complexité des investigations à diligenter ;
- et à la particularité du mode opératoire des faits incriminés ou du déroulement de l’enquête, en effet soit ces crimes doivent avoir été commis ou sont susceptibles d'avoir été commis de manière répétée à des dates différentes par une même personne à l'encontre de différentes victimes, soit leur auteur n'a pu être identifié dix-huit mois après la commission des faits.
 
« Le champ matériel de compétence du pôle spécialisé est large. II est donc indispensable d’apprécier strictement le critère de la complexité particulière des investigations à mener à l’aune des objectifs ayant présidé à sa création » énonce la circulaire. Ainsi, outre les critères de saisine attachés à la qualification juridique des faits, à leur caractère sériel ou non résolu, plusieurs autres critères doivent être pris en compte tels que la dimension nationale ou internationale des faits ou le haut niveau de technicité et d’expertise nécessaire pour les investigations.
 
La circulaire liste enfin les dossiers ne relevant a priori pas de la compétence du pôle spécialisé comme les crimes commis dans un cadre familial, en bande organisée ou encore ceux pour lesquels un suspect a été identifié mais n’a pu être interpellé.
 

Quelle articulation de la compétence nationale concurrente du pôle avec celle des autres juridictions ?
« Les parquets généraux jouent un rôle central dans la coordination et l’harmonisation permettant d’assurer un fonctionnement efficient du nouveau dispositif ». Ils doivent en effet identifier et recenser des procédures susceptibles de faire l’objet d’un dessaisissement au profit du pôle spécialisé. Ils transmettront ainsi au parquet de Nanterre un état détaillé comprenant la date des faits, un descriptif synthétique de ceux-ci, leur qualification juridique, l’état d’avancement de la procédure, ou encore un exposé des raisons pour lesquelles le dessaisissement est envisagé.
 
À noter que le recensement portera tant sur les procédures en cours dans les parquets et les cabinets d’instruction que sur celles clôturées par un classement sans suite ou un non-lieu dès lors que la prescription de l’action publique n’est pas acquise.
 
Le ministre précise ensuite les modalités de dessaisissement au profit du pôle spécialisé au cours d’enquête ou d’information.
 
Ainsi, en cours d’enquête, le dessaisissement des parquets déjà saisis au profit du pôle spécialisé nécessite un échange d’informations complet et diligent entre les parquets concernés note le ministre. Outre le recensement des procédures déjà en cours dans les juridictions, les procureurs de la République devront aviser le parquet de Nanterre de tout fait susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 706-106-1 du Code de procédure pénale. Lorsque le procureur de la République de Nanterre estime que la procédure relève de sa compétence spécialisée, celui territorialement compétent en est informé et se dessaisit à son profit.
 
Quant au dessaisissement en cours d’information, la circulaire rappelle qu’il ressort des termes de la loi « que si le magistrat instructeur peut le proposer et les parties le solliciter par voie de requête, le juge d’instruction ne peut se dessaisir que sur réquisitions conformes du parquet ». Ses réquisitions devant être expresses. Concrètement, lorsque le procureur de la République de la juridiction de droit commun envisage de requérir du magistrat instructeur son dessaisissement au profit du pôle, il doit nécessairement prendre préalablement attache avec le procureur de la République de celui-ci pour partager son analyse et recueillir son accord. Et lorsque le juge d’instruction est saisi par le procureur de la République de réquisitions aux fins de se dessaisir au profit du pôle, il doit en aviser les parties afin que celles-ci puissent faire valoir leurs observations. Notons que, alors que la loi n’impose aucune forme pour cet avis, ni de délai pour l’adresser, « il est cependant évident qu’il appartiendra au juge d’instruction de faire preuve de célérité, cet acte lui étant imposé par la loi » assure la garde des Sceaux. Il ne pourra rendre son ordonnance que huit jours au plus tôt et un mois au plus tard à compter de l’avis précité.
 
Lorsque le juge d’instruction accepte de se dessaisir, il rend une ordonnance qui sera notifiée aux parties. Elles ont alors 5 jours francs pour exercer un recours. À défaut, l’ordonnance passe en force de chose jugée. Le juge d’instruction communique alors le dossier de la procédure au procureur de la République qui le transmet au procureur de la République de la juridiction de Nanterre. Une version de la procédure sous format numérisé doit être transmise. En cas d’ordonnance de refus de dessaisissement, un recours est possible.
 
Précision concernant la conservation des scellés : le ministre a indiqué qu'une « attention bien particulière sera apportée à la fois à la conservation de ces pièces mais aussi à leur utilisation et à leur exploitation ». Ainsi la question du sort des scellés, de leur inventaire, des modalités de conservation et d’envoi, devra faire l’objet d’échanges entre les magistrats concernés préalablement à tout envoi. Néanmoins, aucun transfert de scellé ne doit intervenir tant que la problématique posée par la conservation des scellés au sein du tribunal judiciaire de Nanterre qui ne dispose actuellement pas des volumes nécessaires au stockage, n’a pas été résolue, peut-on lire dans la circulaire.
 
 
L’élaboration du parcours criminel
L’article 706-106-4 du Code de procédure pénale permet de mener des investigations sur le parcours de vie d’un auteur de crimes sériels et de procéder à des recoupements avec d’autres faits. Concrètement, le procureur de la République de Nanterre « peut ordonner une enquête ou saisir le juge d'instruction d'une information ayant pour objet de retracer l'éventuel parcours criminel d'une personne condamnée pour des faits relevant de l'article 706-106-1 ou pour laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre de tels faits ».
 
Pour établir ce parcours criminel, le garde des Sceaux invite à s’extraire des faits eux-mêmes pour centrer les investigations sur leur auteur et son parcours qui peut s’étendre sur plusieurs régions ou plusieurs années. Objectif : « retracer le parcours de vie de la personne, en recherchant notamment des éléments sur ses lieux de vie, ses lieux d'exercice professionnel, ses activités extraprofessionnelles, son éventuel parcours pénal, voire carcéral, et le cas échéant, de procéder à des rapprochements avec des crimes non élucidés commis sur ces divers lieux ».
 
 
Composition du pôle
Le pôle sera coordonné par un premier vice-président en charge des fonctions de juge d’instruction et sera composé, dans un premier temps, de deux autres magistrats instructeurs. Un vice-procureur viendra renforcer le parquet. Trois greffiers, un assistant spécialisé et un juriste assistant complèteront cette équipe. Des officiers de police judiciaire seront mis à disposition du pôle afin d’assister les magistrats du parquet et les juges d’instruction spécialisés du tribunal judiciaire de Nanterre.
 
Il convient de préciser qu’une cosaisine du pôle et des enquêteurs qui ont mené les premières investigations ou encore de la Division des affaires non élucidées (DiANE) pourrait être envisagée.
 
 
Un point d’étape sera réalisé à la fin du premier semestre 2022.
 
 
 
 

 
 
Source : Actualités du droit