Représentant en situation de conflit d'intérêts : articulation entre droit commun et droit des sociétés

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14/03/2022
Civil - Contrat
Affaires - Sociétés et groupements

La limitation de l'application de l'article 1161 du Code civil – qui réglemente les conflits d’intérêts – aux seules personnes physiques, telle que prévue dans la loi de ratification du 20 avril 2018, constitue-t-elle une rupture d’égalité devant la loi ? Réponse du ministre de la Justice.
L'ordonnance du 10 février 2016 avait prévu que l'article 1161 du Code civil réglemente les conflits d'intérêts résultant de contrats avec soi-même (contrat conclu entre la société représentée par son dirigeant et son dirigeant) et des contrats conclus par un même représentant en vertu d'une double représentation : « Un représentant ne peut agir pour le compte des deux parties au contrat ni contracter pour son propre compte avec le représenté. En ces cas, l'acte accompli est nul à moins que la loi ne l'autorise ou que le représenté ne l'ait autorisé ou ratifié ». Cette disposition a été modifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant cette ordonnance afin notamment d'en circonscrire le champ d'application aux seules personnes physiques (C.civ., art. 1161).

M. le garde des Sceaux, ministre de la Justice, répond à la question de savoir si cette limitation aux seules personnes physiques ne constitue pas une rupture d'égalité devant la loi. Quel est le but nécessaire, légitime et proportionné qui serait invoqué si un plaideur invoquait le non-respect de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ?

En droit des sociétés, la question des conflits d'intérêts est principalement appréhendée par le régime des conventions réglementées (C. com., art. L. 223-19, L. 225-38, L. 227-10 et L. 612-5).
 
S'agissant de l'éventuel manquement de cette disposition au principe d'égalité devant la loi, fondé notamment sur l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse traiter de manière différente des situations différentes ou qu'il soit dérogé à ce principe pour des raisons d'intérêt général. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel exige toutefois que « la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (Cons. const., 12 janv. 2020, n° 2001-455 DC) et qu'elle « ne revêt pas un caractère disproportionné au regard de l'objectif poursuivi » (Cons. const., 12 avr. 2013, n° 2013-302 QPC).
 
Or, la situation d'une personne morale peut constituer une situation différente de celle d'une personne physique, s'agissant des règles applicables aux situations de conflit d'intérêt. Tout d'abord, le droit des sociétés prévoit d'ores et déjà de nombreuses règles applicables à ces situations en fonction de la forme sociétale choisie. Par ailleurs, appliquer le régime de droit commun de l'article 1161 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016, aux situations qui ne sont pas réglementées par le droit des sociétés aurait pu être de nature à remettre en cause la cohérence du dispositif prévu en droit des sociétés. Enfin, au regard de la réglementation applicable en droit des sociétés, il ne semble pas que le fait de ne pas soumettre les personnes morales au régime prévu à l'article 1161 du Code civil revête un caractère disproportionné par rapport à la situation des personnes physiques.

En conséquence, et sous réserve de l'appréciation des juridictions, la limitation d'application de l'article 1161 aux seules personnes physiques, telle que prévue dans la loi de ratification du 20 avril 2018, n'apparaît pas être de nature à constituer une rupture d'égalité devant la loi.
 
Voir Le Lamy Droit du contrat, n° 354.
Source : Actualités du droit